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Le ballet au XXIe siècle : que reste-t-il du classique ?


Tutus, chaussons, pointes et grands jetés : telles sont les images qui viennent à l’esprit lorsqu’on parle de ballet. Mais dans un XXIe siècle qui interroge son rapport aux traditions, quel est le visage actuel de la danse classique ?


Les écoles qui enseignent sa technique sont hautement fréquentées, les représentations de Casse-Noisette, Le Lac des Cygnes et autres Gisèle attirent toujours des foules, et les grandes compagnies de ballets utilisent encore la pantomime. Sans équivoque, le ballet classique continue d’attirer les foules et de faire rêver les jeunes. Romantique autant dans sa forme que dans son fond, il convoque un imaginaire grandiloquent qui n’est pourtant que la pointe (jeu de mots) de l’iceberg de ce qu’est aujourd’hui le ballet. Autant ses thèmes que ses méthodes sont aujourd’hui à la base d’œuvres contemporaines qui revendiquent et contestent son héritage d’un même geste.


Alors que quatre compagnies de CAPAS présenteront un ballet contemporain dans le cadre de la prochaine saison de Danse Danse, nous avons voulu nous arrêter sur ce qu’est devenu ce style entre les mains de chorégraphes de talent. Pour nourrir notre réflexion, nous avons discuté avec Alexandra Damiani (Directrice artistique de Ballets Jazz Montréal), Anik Bissonnette (Directrice artistique de l'École supérieure de ballet du Québec) et Guillaume Côté (Interprète, directeur artistique et chorégraphe de Côté Danse) qui représentent chacune et chacun un visage du ballet en 2023.


À noter que, dans ce texte, « danse classique » sera considérée dans sa définition occidentale et « ballet » s’attachera à sa perspective classique également occidentale.


Qu’est-ce qu’un classique ?

Lorsqu’on pense à un classique en danse, on revient souvent aux ballets nommés plus haut, aux noms de Noureev et Tchaikovsky. Ainsi, on associe le canon de la danse à des œuvres intemporelles, qui se sont élevées au rang d’élément du patrimoine. Pour continuer de le considérer dans la définition archétypique du classique, une mise en scène de Roméo et Juliette doit par exemple respecter le livret original, avec l’orchestre, les costumes et les mouvements codifiés du ballet classique.


S’il demeure important de s’assurer que cet héritage ne tombe pas dans l’oubli en le célébrant, l’enseignant et le montant sur les scènes à l’occasion, il est encore plus essentiel de mettre ses codes et ses thèmes au défi. Les histoires d’hier ont certes leur part d’universel, mais encore faut-il en distiller ce qui appartient au passé : la structure paramétrée au quart de tour, les rôles genrés stéréotypés, l’opposition stricte du bien et du mal, le schéma actanciel… Les manières de véhiculer l’émotion ont évolué et doivent s’ancrer dans une forme plus fluide, un fond plus nuancé. Plusieurs compagnies et chorégraphes de notre ère ont proposé des œuvres qui ont fait école autrement : Sharon Eyal, Ohad Naharin, Hofesh Shechter, Alexander Ekman – ou plus près de chez nous Marie Chouinard, Crystal Pite. La notion de « classique » au sens de « canonique » s’est donc doucement éloignée des seules références au ballet : oserions-nous dire que Le Sacre du printemps de Pina Bausch (reprise d’ailleurs d’une œuvre dite « classique » de Nijinski) ou Joe de Jean-Pierre Perreault ne sont pas des oeuvres phares du répertoire de la danse ?


Qu’est-ce que la danse classique ?

Autant Damiani, Côté que Bissonnette sont unanimes : la danse classique est avant tout une technique. Il ne faut donc pas la considérer uniquement avec sa musique orchestrale et ses tutus, mais plutôt se concentrer sur comment les mouvements à la barre et les formes exigeantes forgent le corps du danseur. Il s’agit d’un langage qui se définit d’abord par sa rigueur, sa virtuosité et, surtout, sa polyvalence. Au-delà de ce processus parfois douloureux, parfois frustrant, c’est une boîte à outils riche qui attend l’interprète qui aura dédié des années de sa vie à cette forme : comprendre la musicalité de la danse, bouger à l’unisson, maîtriser un mouvement dans chaque étape de sa mécanique. On se distancie donc de la culture historique de cette technique (qui, un siècle plus tôt, reposait à différents degrés sur l’objectification des femmes, le machisme et le racisme) pour en garder les gestes et les principes dans une perspective plus inclusive, plus libre.


Cet entraînement – longtemps séparé par élitisme des autres types de formation – est maintenant une partie intégrante de la majorité des parcours pour les aspirants danseurs qui incluent la rencontre des genres. Alors que les bases du contemporain vont chercher l’improvisation, de la fluidité et le ressenti, les bases du classique permettent d’intégrer la précision, la posture et la force : autant d’éléments complémentaires d’un style à l’autre. Au même titre que les œuvres du patrimoine, les techniques de la danse classique doivent ainsi évoluer à travers la mise au défi de leur raison d’être. Cet apprentissage permet ainsi aux artistes d’être plus versatiles pour rendre leur art disponible à une variété de créations plus larges – autant actuelles que patrimoniales (notre proposition de remplacement à « classique »). C’est un peu comme apprendre les gammes et arpèges pour ensuite créer de la musique atonale : il faut savoir d’où on vient pour déconstruire, et enfin reconstruire.


En quoi le ballet peut-il être actuel ?

Des chorégraphes d’ici et d’ailleurs ont su prendre l’héritage de la danse classique pour créer des ballets contemporains, où les codes sont revisités à la lumière de la mondialisation culturelle, de l’hybridation des styles, de l’avènement de l’abstraction et du désir de la danse d’avoir un commentaire toujours plus actuel sur le monde. Certains ont ainsi choisi de reprendre des livrets du répertoire classique pour en faire des relectures soit au niveau du propos ou de la forme : pensons notamment à Se méfier des eaux qui dorment de la compagnie yvann alexandre, qui amène le Lac des Cygnes à la rencontre de l’Amazonie et de la redéfinition des genres. D’autres – et ils sont nombreux depuis longtemps – ont plutôt amené la rigueur, la précision et la virtuosité à la rencontre du senti, de la poésie et de nouvelles esthétiques. Que nous allions voir du côté de Forsythe, Cunningham, Pite, Chouinard et plusieurs autres, on retrouve un geste rigoureux et calculé dans un rendu contemporain et cathartique où la spontanéité crée un liant entre la mécanique et l’humain.


Le ballet contemporain, par sa capacité à émouvoir autant par le détail que par le propos, s’inscrit dans l’identité artistique de CAPAS, qui représente de multiples compagnies qui revendiquent à la fois l’héritage classique et l’éclatement contemporain. Que ce soient les vertigineux Ballets Jazz Montréal avec leurs mouvements fins qui crient une poésie brute, l’hypnotisante, Sharon Eyal qui pousse la pointe et l’unisson à la limite corporelle avec tanzmainz, le philosophique Andrew Skeels qui amène ballet et danse underground à révéler les émotions secrètes du deuil, le méthodique Patin Libre avec ses acrobaties aussi surprenantes que sensibles ou plusieurs autres chorégraphes sous notre aile. Notre label souhaite faire connaître les artistes qui savent imaginer des œuvres où l’aisance du mouvement impressionne, touche, envoûte et fascine.


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