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Minuit quelque part : crépuscule d’un projet, aube d’un dialogue

  • Photo du rédacteur: Mickaël Spinnhirny
    Mickaël Spinnhirny
  • 18 avr.
  • 6 min de lecture

Dernière mise à jour : 21 avr.

En février 2026, le dernier rideau tombera sur Minuit quelque part. Une œuvre qui, dès sa conception, voulait tout bousculer : les codes, les cloisons, les cercles fermés. Deux ans de tournée, une trentaine de villes, huit chorégraphes, des milliers de spectateur·rices, une équipe en orbite, un secteur intrigué, parfois interpellé, souvent divisé. Il est temps maintenant de faire le bilan — le vrai. Celui qui dit ce qui a fonctionné, mais aussi ce qu’on aurait pu faire autrement.


Un budget exceptionnel… mais pas télévisuel

Soyons clairs : Minuit quelque part a bénéficié d’un financement significatif grâce au soutien du Ministère de la Culture et des Communications. Cela nous a permis d’investir dans l’ensemble du cycle de production et de diffusion avec rigueur et ambition. Mais — et c’est un mais important — nous n’avions pas un budget à l’échelle d’un Révolution ou d’un spectacle commercial à très grand déploiement. Certain·es artistes ou concepteur·rices, habitué·es à ces mégas productions, ont pu ressentir un décalage entre leurs attentes et les moyens réels du projet, même si les conditions salariales dépassaient largement les standards du milieu. C’est une tension naturelle, et surtout, c’est une conversation essentielle à avoir dans notre secteur : comment calibrer nos ambitions artistiques en fonction des réalités budgétaires de la danse ? Cela dit, malgré ces écarts de culture de production, il y a eu de véritables rencontres artistiques, nourries par une volonté commune de faire œuvre. La direction artistique de Lydia Bouchard et Merryn Kritzinger, rompues à la fois à la scène contemporaine et à la scène médiatisée, a joué un rôle clé : elles ont su faire le lien entre ces deux mondes, avec intelligence, créativité et respect des sensibilités de chacun. Et c’est aussi dans ces zones hybrides, parfois inconfortables, que de nouveaux territoires peuvent émerger.


CAPAS : bien plus qu’un agent — un label de danse

On nous voit souvent comme des agent·es d’artistes. Et… on l’est. Mais on est aussi bien plus que ça. CAPAS, c’est une fabrique de projets, un trait d’union entre les artistes et les publics, un partenaire des diffuseurs, une boîte à outils pour les écoles, les universités, les associations, les compagnies. Un véritable hub chorégraphique, au service du secteur dans son ensemble. C’est précisément pour cela que nous nous définissons aujourd’hui comme un label de danse. Inspiré des labels de musique actuels, qui ne se limitent pas à représenter des artistes mais qui offrent des services intégrés à tous les maillons de l’industrie — production, promotion, diffusion, accompagnement stratégique, billetterie, développement de publics, outils numériques — CAPAS agit comme une interface complète, capable d’activer des projets en les pensant dans toute leur trajectoire. Minuit quelque part a incarné cette vision. Nous y avons accompagné les chorégraphes dans la création, soutenu la diffusion auprès de dizaines de diffuseurs, développé des outils visuels et médiatiques de qualité, organisé la médiation culturelle, et offert un cadre professionnel soutenu à plus de 30 artistes et travailleur·euses culturel·les. Bref, CAPAS agit à la fois en producteur, en agent, en stratège et en catalyseur. Ce modèle n’entre pas toujours dans les cases, et c’est normal. Dans un secteur créatif, tous les modèles devraient coexister. Nous ne prétendons pas offrir la seule voie ni la meilleure — simplement une approche différente, pensée pour répondre aux réalités actuelles du terrain.

 

Propulser des carrières, révéler des voix

Avec Minuit quelque part, l’un des objectifs assumés était de donner aux diffuseurs un éventail d’écritures chorégraphiques, de Lydia Bouchard à Marie Chouinard, en passant par Kristen Céré, Ismaël Mouaraki, Anne Plamondon, Virginie Brunelle, Charles-Alexis Desgagnés et Merryn Kritzinger. Offrir une telle diversité, c’était une façon d’exposer le spectateur – et les programmateurs – à la richesse de la danse québécoise, du plus accessible au plus audacieux, du plus pop au plus conceptuel. Chaque tableau de Minuit devenait ainsi une carte de visite artistique, un tremplin potentiel pour les chorégraphes. Certain·es ont vu leurs œuvres reprises ailleurs, d’autres ont gagné en notoriété auprès de nouveaux publics. En agissant comme vitrine, Minuit quelque part a rempli un rôle essentiel : ouvrir les portes, créer de nouvelles circulations, encourager la programmation future de ces artistes dans d’autres contextes.


Choc des cultures : création chorégraphique vs méthode commerciale

Le processus de création a aussi été marqué par une réalité double : celle du temps long de la danse contemporaine — fait de recherches, d’essais, de recul — et celle plus instantanée du milieu commercial, où l’efficacité prime. Dans Minuit quelque part, ces deux mondes se sont rencontrés… et parfois frottés. Réunir des artistes de Révolution et des chorégraphes contemporains dans un même espace de création, c’était une utopie stimulante. Mais cette utopie venait avec des ajustements méthodologiques et humains. La cadence de création, la gestion des horaires, les attentes implicites… tout cela a nécessité beaucoup d’écoute et de diplomatie. Et même si la magie a opéré sur scène, en coulisses, nous avons appris — parfois à tâtons — comment faire cohabiter ces pratiques artistiques si différentes.


Marketing : créativité 1 – plateformes 0

Nous avons aussi exploré un nouveau territoire : celui du marketing professionnel, en collaboration avec une agence. Ce fut l’un des grands plaisirs du projet. La direction artistique visuelle, les outils photo et vidéo, les capsules et déclinaisons graphiques ont donné à Minuit une identité forte, claire et porteuse. Le microsite, le design, les vidéos… tout était prêt avant même les premières répétitions. Et ça a porté ses fruits pour convaincre les diffuseurs. Mais du côté du public? Disons-le franchement : le numérique ne convertit pas comme on l’imagine. Le taux de clics sur les pubs sponsorisées était ridiculement bas (moins de 0,1 %), malgré un million de vues. Oui, ça donne de la notoriété, mais non, ça ne vend pas de billets. Ce constat force une révision de nos réflexes en communication. Faut-il vraiment continuer à injecter autant de budget dans des campagnes numériques quand l’impact réel sur la billetterie est aussi faible ?



Succès en région : un sommet discret mais solide

Là où Minuit quelque part a vraiment brillé, c’est en région. Tuxedo nous a généreusement ventilé les chiffres : avec une moyenne de 213 spectateurs par représentation, c’est une performance remarquable pour un spectacle de danse — au-dessus de la moyenne québécoise. Selon les chiffres compilés, CAPAS a été le plus grand vendeur en danse en région en 2024-2025, et ce n’est pas rien. Ce succès n’est pas le fruit du hasard. Il est en grande partie lié à l’attrait qu’a encore Révolution dans les régions, à la médiatisation généreuse, mais aussi au travail de terrain : conférences dansées, bords de scène, rencontres publiques. Le spectacle est devenu un événement culturel dans chaque ville où il passait, et les diffuseurs ont joué un rôle essentiel dans cette réussite.


Une équipe propulsée vers l’avant

On ne le dira jamais assez : Minuit quelque part a été un projet immense, ambitieux, exigeant… et profondément stimulant pour toute notre équipe. Il nous a poussés à développer des outils, des réflexes, des savoir-faire qu’on ne possédait pas il y a deux ans. Coordination de tournées complexes, gestion de créations multiples, élaboration d’outils de communication robustes, relations diffuseurs… rien n’a été laissé au hasard. Mais au-delà des compétences techniques, ce projet a surtout été un terrain de jeu créatif hors du commun. L’adhésion de l’équipe a été totale. On a vibré, improvisé, brainstormé, résolu mille casse-têtes, souvent dans le rush, toujours dans l’enthousiasme. Il y avait du fun dans l’air. Une énergie rare. Ce genre d’élan qu’on attrape une fois de temps en temps, et qui soude un collectif autour d’un cap commun. Et ce n’était pas que pour Minuit quelque part. Chaque outil, chaque méthode, chaque gabarit développé pour ce projet vit aujourd’hui une deuxième vie dans nos autres projets. Minuit a littéralement permis de structurer nos façons de faire, d’enrichir nos méthodes de travail et de professionnaliser nos pratiques à tous les niveaux. En bref : on sort de cette aventure avec des outils plus affûtés, un alignement plus clair, une confiance plus forte. Et surtout : une passion plus vive.


Conclusion : vers un nouveau cycle

CAPAS a grandi à travers cette aventure. Avec ses défauts et ses beautés, Minuit quelque part aura permis de tester des idées, de valider des intuitions, et surtout de faire bouger les lignes — dans tous les sens du terme. C’est un projet imparfait, mais lucide, qui aura offert à plus de 30 artistes et travailleur·euses culturel·les l’opportunité de vivre dignement de leur art pendant trois ans. Une œuvre qui, au-delà de la scène, a nourri nos réflexions pour les projets à venir.


Minuit quelque part a provoqué des réactions vives, et peut-être est-ce parce qu’il touchait à quelque chose de profond : la peur du compromis, le besoin d’être reconnu, le sentiment de perte dans la rencontre des mondes. Mais au fond, tout cela est sain. Parce que là où il y a friction, il y a souvent création.


Alors poursuivons. Échangeons. Écoutons-nous. Inventons. Le secteur de la danse est vaste, vibrant, traversé de modèles multiples. Et si notre façon de faire ne ressemble pas toujours à ce qui existe déjà, elle ne cherche pas à le remplacer, mais à l’élargir. À y ajouter une voix. Une perspective. Une pulsation de plus dans la partition. Parce qu’au-delà des divergences, il y a ce langage qui nous relie : celui du mouvement partagé.





Pour aller plus loin, découvrez notre édito qui interroge la responsabilité collective des diffuseurs, producteurs et artistes face à un écosystème en mutation : Développement des publics : à qui revient le fardeau ?



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