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ABBA, les hologrammes et l'avenir de la diffusion des arts de la scène

En marge d'une mission au Edinburgh International Children's Festival, j'ai assisté à deux spectacles musicaux à grand déploiement : Beyoncé et Abba Voyage.

Si le premier a répondu à toutes mes attentes en termes de fête pop et capitaliste, le second m'a absolument soufflé. Agnetha, Benny, Björn et Frida sont apparus devant une salle de 3000 spectateurs sous la forme d'hologrammes, chantant à travers les cris et les applaudissements leurs chansons les plus emblématiques sans une fausse note. Dans le feu d'artifice visuel, il était absolument impossible de dire qu'il s'agissait de projections qui flottaient devant nous : seul le léger rétroéclairage des silhouettes rendant la performance irréelle, mais d'autant plus hypnotisante. À environ 100£ (150$) par personne (en moyenne selon le tarif dynamique), la performance automatique - comble pour 7 soirs par semaine depuis un an - a été aussi courue que rentable, et ce, même si aucun artiste n'est monté sur scène.



Au sortir de cet événement, j'étais aussi ébloui que troublé. Alors que les diffuseurs au Edinbrugh International Children's Festival et tous les autres que j'ai rencontrés lors des marchés des arts désertés dénoncent des salles à peine remplies pour leurs spectacles d'art vivant, le facsimilé d'une prestation musicale fait courir les foules. Force est de constater que, lorsqu'on a demandé à ABBA de se réinventer, leur réflexion qui sort complètement des sentiers battus a porté fruit. L'expérience solutionne l'explosion des coûts de production en limitant les cachets à des droits de suite, la complexité de l'hébergement et le transport en ne gérant que l'équipe technique, et la longueur de l'entrée en salle en n'ayant besoin que d'un montage et d'une générale technique. Bien que nos sympathiques Suédois ne soient pas sur scène, la proposition est si épatante qu'elle supplante même les pirouettes de Beyoncé.



Si le secteur de la danse n'a pas nécessairement les moyens de se payer des tournages holographiques et des scénographies robotisées, elle peut certainement retenir que sortir des sentiers battus offre de nouvelles opportunités pour rejoindre et fidéliser les publics. Or, force est de constater que la relance des arts vivants s'est plutôt faite sous le symbole de la continuité que de la réinvention. Dès que les masques sont tombés et que les frontières se sont rouvertes, les usages prépandémiques ont été repris avec peu ou pas de questions, relançant les marchés des arts et les salles de spectacle comme si des années de confinement n'avaient pas changé les mentalités. En est ressortie une dissonance entre les anciennes pratiques et les nouvelles habitudes, où le public pressurisé par les crises à la chaîne (pandémique, climatique, économique, énergétique, virtuelle) ne réagit plus de la même manière aux stratégies mises en place par les programmateurs. Conséquemment, les plateformes internationales des arts vivants deviennent de moins en moins des lieux de transactions artistiques, alors que les représentants des salles de spectacle cherchent en vain l'innovation. Et ce, lorsqu'ils se présentent aux rendez-vous internationaux : la plupart sont occupés à contenir les feux dans leur communauté pour prendre la route et discuter de demain quand aujourd'hui brûle. Ainsi, c'est pourquoi CAPAS mise davantage sur les rencontres en festival ou directement chez les programmateurs, afin de privilégier des rencontres plus humaines, tâtant le pouls réel sur le terrain pour offrir des propositions qui concordent avec leurs besoins. Heureusement, le Québec est encore épargné avec des marchés des arts encore symboles d'échange et de rencontres culturelles prometteuses. Mais avec le désir des arts québécois de reprendre leur place à l'international, vaut mieux entretenir la richesse de ces institutions tout en préparant le terrain pour un avenir instable.



Ainsi, il devient urgent de s'offrir des espaces où on peut innover, essayer et de se tromper avec confiance, briser les codes et aller au-delà des genres pour voir l'art vivant reprendre sa place dans le paysage culturel. De retour au Edinbrugh International Children's Festival, la compagnie qui a le plus retenu l'attention m'a confié en coulisses qu'elle n'avait jamais eu l'intention de faire un spectacle jeune public, mais qu'en sortant leur œuvre de la case circassienne adulte où elle avait été confinée, celle-ci a répondre au besoin de dizaines de villes à la recherche d'une proposition familiale. Cette innovation - sans travestir l'essence artistique - doit cependant se faire en reconnaissant le monde dans lequel les audiences que nous souhaitons rejoindre vivent désormais : un univers où le virtuel prend une ampleur de plus en plus inévitable, où les budgets et le temps sont comptés, et surtout où les choix se font selon la qualité de l'expérience globale - de l'achat à la sortie de la salle. Pour surfer sur la vague du changement plutôt qu'être happée par celle-ci (pensons à l'industrie du CD qui n'a pas su faire face à l'arrivée des plateformes d'écoute en continu comme Spotify), il faut lui faire face et se préparer.



Au-delà des questions financières, temporelles et matérielles, le tout prend racine dans la volonté de chaque élément de la chaîne à interroger ses pratiques pour les aligner avec les enjeux actuels. Mais - pour reprendre les sages paroles d'ABBA - « La question c'est : voulez-vous? »

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