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Coefficient bonheur : revisiter la fidélisation en arts vivants

Quels apprentissages tirer des abonnements Amazon et des cartes de points Métro pour remplir nos salles de spectacle ? Constats et idées.


Souvenons-nous de l'époque où il était déchirant de choisir un abonnement. On épluchait pendant des heures les brochures de saison pour peser la quantité de spectacles qui nous interpellait afin de faire le choix le plus éclairé possible. Parce que s'abonner était un engagement ferme, presque sacré, où on donnait son aval à une direction artistique. La fidélité était inébranlable : se réabonner au même théâtre année après année allait de soi pour ne pas perdre son siège préféré, ses privilèges et économiser sur le prix du billet à prix courant.  


Aujourd'hui, alors que les Netflix, Amazon et autres Apple ont adapté la tradition de l'abonnement (née dans notre secteur) pour créer une dépendance chez leurs clients, la même stratégie a perdu la cote chez les spectateurs d'arts vivants. Aux États-Unis, les abonnements les plus fréquents sont désormais pour des plans de protection d'appareil électronique plutôt que pour du contenu artistique - même Spotify est moins populaire qu’AppleCare !


Pour parvenir à tirer son épingle du jeu, le milieu du spectacle doit donc repenser ses méthodes afin de fidéliser autrement ses publics.


À l'origine était l'émotion

Pour une fidélisation solide et pérenne, il importe de créer une expérience client qui interpelle l'émotion. Dans le milieu aérien, cette tâche a été bien comprise : de l’accès au salon en passant par les divertissements en vol et les services hôteliers connexes, on nous parle peu du voyage et davantage de ce qu'il nous fera vivre (le dépaysement, le bonheur, l'aventure, la découverte, le repos). En ce sens, tout a été réfléchi pour entretenir une impression de luxe et de rigueur qui déchargent notre esprit jusqu'à notre arrivée sur la plage ou au sommet de la montagne. Ce qu’on touche ici, c’est l’émotif, et ça fonctionne.


Les salles de spectacle peuvent trouver dans cette stratégie de nombreuses corrélations, à commencer par leur mission première : susciter l'émotion. Les œuvres programmées n'aspirent en effet qu'à rejoindre le cœur et l'esprit des spectateurs. Pour obtenir une expérience client réussie, il importe que tout ce qui entoure la représentation travaille en ce sens : du site web au courriel de rappel, de la manière d'accueillir le public au moment de le quitter, du bar au message d'ouverture. En investissant pleinement ces espaces avec son identité, un diffuseur bonifie l'expérience du public. La force de la culture, c'est d'interpeller l'individu non pas pour le forcer à consommer, mais à réfléchir, à rêver. Faire déborder ce supplément d'âme de la salle vers chaque contact entre le public et le programmateur les amènera à créer des liens plus humains et, ainsi, plus serrés.



Abonnement ou membership ?

Au-delà d'un sentiment d'appartenance, la fidélisation se trouve également dans la qualité de l'interaction et dans la compréhension des besoins bilatéraux de chaque intervenant dans le système transactionnel. Autrement dit, une salle qui se montre sensible aux envies et nécessités de son public recevra son attention et sa loyauté. Le public recherche en effet sans cesse à en avoir davantage pour l'investissement - en temps, en argent ou en énergie - qu'il donne à une compagnie, tout en comptant sur la compréhension et la flexibilité de celle-ci si un imprévu devait survenir. Ainsi, en s'engageant avec Uber One, le membre s'attend à une livraison plus rapide; mais il souhaite également conserver une illusion de liberté avec l'option de se désabonner en tout temps si ses finances ou ses impératifs changent.

En ce sens, les programmateurs ont tout à gagner à amener leurs propositions d'abonnements à la rencontre du concept de membership. Cette stratégie base son pacte de fidélité sur des gains concrets en offrant une flexibilité favorisant ce sentiment de liberté qui - paradoxalement - incite les individus à s'engager plus solidement. Ce genre de contrat entre public et compagnie se décline en deux types principaux :


Membership mécanique

Ce type de relation se base sur un système transactionnel où le public amasse des récompenses à force de fréquenter un même service ou un même regroupement de services.

  • Exemple : La carte MOI qui permet d’accumuler des points qui se convertissent en rabais et argent chez les détaillants participants.

  • Adaptation culturelle : Fréquenter une salle ou un réseau de programmateurs pour obtenir des billets gratuits.


Membership émotionnel

Cette approche mise davantage sur une offre d'avantages aux membres qui interpelle directement leurs sentiments : se sentir important, prestigieux, complice, privilégié, élevé, supporté, proche des artistes, etc.

  • Exemple : Éconofitness qui offre à ses membres de base un simple accès au gym, mais un accès aux douches et aux sièges de massage aux membres qui souhaitent payer davantage.

  • Adaptation culturelle : Offrir aux membres les meilleurs sièges, les primeurs par courriel, les accès coulisses, le vin de meilleure qualité, les rabais en prévente, le service de valet, le salon VIP, etc.


À termes, le public recherche désormais plus d'humanité : un imprévu survient, on veut pouvoir déplacer sa date. On constate d’ailleurs que les programmateurs qui ont adopté de telles stratégies au Québec en en France ont des jauges plus constantes.



Se « données » les moyens de nos ambitions

Au centre de tous ces rabais, ces avantages et ces passe-droits offerts par les grandes entreprises à leurs membres, une constante surgit : les données. L'expérience client et le membership sont axés sur la collecte des données. On échange les politesses et les réductions contre des formulaires d'identification bien remplis et des contrats de cession de droits sur notre profil - voire sur nos historiques d’achat et notre géolocalisation. Bon nombre de compagnies financent d’ailleurs leurs activités de fidélisation en revendant les données de leurs utilisateurs à des tiers qui eux-mêmes bénéficient de ces informations pour séduire leurs clients.


En sachant l'âge, le sexe, les préférences et les habitudes des individus, on peut mieux les cibler avec des communications réfléchies pour les interpeller directement. Les outils et algorithmes deviennent alors nos alliés pour personnaliser chaque affichage de site web, chaque infolettre, voire chaque billet et chaque programme de saison selon ses intérêts. Mais la force des données et des outils réside dans celles et ceux qui les manipulent : en s'entourant d'une équipe formée à reconstruire les humains derrière les chiffres, des graphiques peuvent se transformer en salles pleines. La formation continue et l'intégration de la distillation des données dans les pratiques des professionnels est la clé d'un milieu culturel compétitif sur la scène virtuelle.



Si l'heure de l'abonnement classique est peut-être bientôt passée, celle de l'affirmation identitaire arrive enfin. C'est le moment de plonger pleinement dans cette émotion unique, ce caractère inimitable de la culture pour rappeler aux publics que nos spectacles peuvent les éblouir autant. Arborer fièrement ses couleurs et les décliner dans chaque détail - de la couleur du tapis à l'expérience d'achat d'un billet - permet de créer un fort sentiment d'appartenance en invitant le public à sortir de l'ordinaire dès qu'il entre dans l'univers de votre salle de spectacle. Plus que de viser la satisfaction, il faut viser le bonheur de nos audiences en s'attardant à leurs besoins réels. Et plutôt que de mouler la culture au marketing, il faut habiter le marketing avec la magie de l'art pour ramener la relation spectateur / programmateur à une relation d'humain à humain, de cœur à cœur. Car quelle plus grande marque de fidélité qu'un amour véritable ?


Pour en savoir plus, ne manquez pas la table ronde conçue et animée par Evelyne Boudreau et Mickaël Spinnhirny au FORUM RIDEAU 2024 : Perspectives croisées en aviation et arts de la scène


Avec Jean-François Ermel - Directeur marketing, communications et expérience client - Grand Théâtre de Québec, Pierre Daems - Président - Aube Conseil, Carolina Garibay - Cheffe de service principal, Marketing des lignes, Air Canada

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