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Bilan de la Biennale de danse de Cali 2025 : entre traditions et monde contemporain

  • Photo du rédacteur: Mickaël Spinnhirny
    Mickaël Spinnhirny
  • il y a 5 jours
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : il y a 4 jours

La Biennale internationale de danse de Cali, qui s’est tenue la semaine dernière en Colombie, a révélé une vitalité remarquable. Durant une semaine, la ville continentale s’est affirmée comme le cœur battant de la danse en Amérique latine, offrant une programmation ambitieuse et une effervescence collective.


7e bienal internacional de danza de cali CAPAS

Collaborations internationales : un soutien indispensable

La Biennale de Cali illustre à quel point la danse est un langage universel qui se nourrit des échanges internationaux. Les collaborations avec l’étranger ont été cruciales pour la réussite de cette 7e édition, sans quoi, certaines performances majeures n’auraient tout simplement pas pu voir le jour. L’appui de l’Institut français, via l’Ambassade de France, a permis la venue du prestigieux Ballet Preljocaj (France), qui a présenté sa pièce Gravity au Teatro Jorge Isaacs, un événement phare du festival. La présence de cette compagnie contemporaine de renommée mondiale a offert au public colombien une occasion rare de découvrir une œuvre avant-gardiste française sans quitter leur pays. Autre exemple marquant : le Foco Cataluña (Focus Catalogne) : la région catalane a été invitée d’honneur de la Biennale 2025, à travers un focus thématique réalisé en partenariat avec l’Institut Ramon Llull (l’équivalent catalan de l’Institut français) . Concrètement, cinq artistes et collectifs catalans de grand renom international ont présenté leurs créations à Cali, qu’il s’agisse de spectacles, d’expositions ou d’ateliers. Plus largement, des pays comme le Brésil, le Mexique, l’Espagne, Cuba ou l’Allemagne figuraient parmi les invités, souvent grâce à l’entremise de leurs ambassades ou institutions culturelles. Ces partenariats internationaux ne se limitent pas à financer la venue de compagnies : ils s’étendent aux échanges d’expertise, aux ateliers pédagogiques et aux résidences. 


Un public enthousiaste… et indiscipliné

Les représentations de la Biennale de Cali ont attiré un public nombreux et éclectique. On y retrouvait des professionnel·les de la danse venu·es de tout le pays, des passionné·es curieux·euses de nouveautés contemporaines, mais aussi un large public populaire, parfois néophyte, avide de spectacles. L’engouement du public caleño pour la danse est indéniable : les salles étaient pleines, et l’énergie collective avant et après les spectacles faisait plaisir à voir. Un détail logistique a d’ailleurs de quoi fasciner lorsqu’on observe la Biennale du point de vue d’un programmateur ou d’un diffuseur international : la billetterie n’a ouvert que deux semaines avant le début du festival. Une stratégie impensable dans nos modèles de mise en marché, où la vente de billets doit s’étaler sur plusieurs mois pour assurer la viabilité financière d’un événement de cette envergure. À Cali, pourtant, cela n’a pas empêché les spectateur·rices d’affluer en masse, preuve d’une relation différente entre les publics et les événements culturels, où la spontanéité, l’habitude de dernière minute et la confiance envers la Biennale suffisent à remplir les salles. 


Cependant, un trait culturel a surpris les observateur·rices étranger·ères : l’indiscipline relative de certain·es spectateur·rices. À Cali, il n’est apparemment pas inhabituel de voir des gens discuter à voix basse pendant une performance, entrer en retard en salle, ou consulter leur téléphone portable en pleine représentation. Pour une ou un visiteur, cette attitude déconcentrée est déroutante, car elle déroge aux normes de silence quasi religieux auxquelles on est habitué dans les théâtres. Pourtant, il faut le souligner, cette effervescence du public n’est jamais malveillante. Elle reflète plutôt une façon plus décontractée et collective de vivre le spectacle. Les publics, loin d’être passifs, montrent qu’ils sont présents à leur manière : ils réagissent, partagent leur émotion avec leurs voisins, et manifestent ouvertement leur appréciation ou leur surprise. Une fois passée la surprise initiale, on réalise que ce public participe activement à la vie du spectacle. En somme, un public peut-être moins discipliné, mais ô combien vivant, qui rappelle que la danse est avant tout un art de communion et de partage.


Des artistes aux multiples casquettes

Sur le plan artistique, la Biennale a révélé des talents passionnés, mais confrontés à des réalités économiques exigeantes. Nombre de danseur·euses colombien·nes doivent en effet cumuler un emploi à temps complet afin de pouvoir continuer à danser et créer. Cette situation les oblige souvent à reléguer la création et les répétitions au soir, après leur journée de travail. Malgré ces contraintes, le niveau des performances présentées était élevé, témoignant d’une résilience et d’une créativité remarquables. Il est frappant de constater que, bien que privés d’un temps plein dédié à leur art, ces artistes parviennent à proposer des œuvres abouties, pleines de réflexion et d’originalité.


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La Licorera : un temple chorégraphique à Cali

Une des belles découvertes de cette mission, ce centre de danse et de chorégraphie (encore jeune dans le paysage culturel local) offre un regard précieux sur l’écosystème artistique de la ville. Installé dans les anciennes caves d’une fabrique de liqueur et inauguré en 2019 après vingt ans d’abandon, La Licorera s’étend sur 38 000 m², répartis en huit bâtiments patrimoniaux dont trois ont déjà été réaménagés en studios modernes. Sans être au cœur de la Biennale, ce lieu s’impose déjà comme un espace incontournable pour saisir l’élan chorégraphique de Cali :un site à découvrir absolument pour quiconque souhaite comprendre comment la ville façonne son avenir artistique. Le modèle d’affaires repose sur un partenariat innovant entre le secteur public et le secteur privé. Le centre a vu le jour grâce au financement conjoint du Ministère colombien de la Culture et du gouvernement du Valle del Cauca, avec l’appui d’entreprises locales. Par exemple, le fournisseur d’énergie Gases de Occidente et la Fondation Promigas se sont alliés à La Licorera pour soutenir des initiatives comme « Energía en Movimiento », qui finance la création chorégraphique et l’emploi artistique dans la région . La Licorera offre non seulement des studios et scènes aux compagnies, mais aussi des services à la communauté : programmes de formation, résidences d’artistes, et espaces ouverts aux projets sociaux liant la danse à la collectivité. 


Une expérience enrichissante pour la danse internationale

La Biennale de danse de Cali 2025 s’est révélée être bien plus qu’un festival de plus dans le calendrier mondial : ce fut un véritable carrefour d’influences, d’enseignements et d’inspiration. Pour les professionnel·les du Québec ou de l’international sur place, cette immersion en Colombie a offert un regard neuf sur la manière dont la danse peut se déployer dans des contextes culturels et économiques différents. Voir des artistes de haut niveau évoluer dans des conditions parfois éloignées du confort occidental, constater l’enthousiasme d’un public qui vit le spectacle intensément, découvrir des créations enracinées dans un territoire spécifique : tout cela nourrit une réflexion profonde sur le rôle de la danse dans nos sociétés.


On repart de Cali avec des images plein la tête : celles d’interprètes inépuisables au sourire radieux malgré la fatigue, celles d’un public dansant littéralement dans les gradins après un final enfiévré, ou encore celles des coulisses où se côtoyaient autant de langues que de styles de danse. On en revient également avec des questions stimulantes : Comment bâtir chez nous un soutien plus fort aux artistes pour qu’ils/elles n’aient pas à s’épuiser ailleurs ? Quel équilibre entre discipline et spontanéité dans la relation au public ? 


À l’heure du bilan, on ne peut que saluer l’organisation Proartes et tous les partenaires de l’événement pour cette réalisation exemplaire. Nul doute que cette Biennale continuera d’être un rendez-vous incontournable pour qui veut sentir le pouls de la danse internationale.

 
 
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