Festivals estivaux européens : ferveur du public et défis culturels
- Mickaël Spinnhirny
- 14 août
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 18 août
CAPAS est passé par plusieurs scènes de la France, de l’Allemagne et de l’Italie cet été : constats entre succès publics, passation générationnelle et resserrements financiers.

Affluences record et public rajeuni
Cet été, les grands festivals de danse en Europe ont fait le plein, et nous avons eu la chance d’être aux premières loges, en marge de nos efforts pour représenter nos artistes. Des salles combles et une fréquentation en hausse ont été observées à Montpellier Danse, au COLOURS International Dance Festival de Stuttgart, au Festival de Marseille, à la Biennale de la danse de Venise, à ImPulsTanz Vienne, et bien sûr au célèbre Festival d’Avignon. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : la programmation officielle de cet incontournable rendez-vous international a enregistré un taux de remplissage de 98 %. « Du jamais vu depuis dix ans » selon son directeur, Tiago Rodrigues. Le OFF d’Avignon a également affiché des proportions impressionnantes avec plus de 1 700 spectacles dans 139 lieux, 490 créations portées par 1 347 compagnies – des chiffres vertigineux à l’image de la ferveur qui embrase la cité des papes chaque été. À Montpellier Danse, le public a répondu massivement présent : en 2019 déjà, le festival attirait 35 000 spectateurs (95 % de remplissage), et l’édition 2025 vient de battre ce record avec 97 % des sièges occupés.
Partout, le public est au rendez-vous et un fait notable se dégage : le rajeunissement des festivalier·ères. Les jeunes générations investissent ces événements en masse, ce qui renouvelle l’audience et insuffle une énergie nouvelle. Un exemple de cet engouement populaire et intergénérationnel : la clôture de Montpellier Danse 2025, alors que le chorégraphe Mourad Merzouki a transformé la place de la Comédie en gigantesque piste de danse à ciel ouvert. Près de 2 000 personnes – beaucoup de jeunes adultes et des familles – ont festoyé le temps d’un spectacle participatif en plein air. Cette scène de liesse collective illustre l’appétit du public pour la danse et les arts vivants après des années difficiles, et démontre que la culture festive estivale reste un moment privilégié de partage intergénérationnel en Europe.
Propositions artistiques : audace créative vs. accessibilité
Si la fréquentation est excellente, un clivage apparaît néanmoins sur le plan artistique. Les festivals ont proposé des œuvres souvent très pointues, audacieuses et exigeantes, qui ne résonnent pas toujours auprès de tous les publics. Ce décalage entre l’avant-garde artistique et l’accessibilité a fait débat, notamment à Avignon. L’édition 2025 a multiplié les créations singulières. En ouverture, la chorégraphe cap-verdienne Marlene Monteiro Freitas a présenté Nôt, une réinterprétation radicale des Mille et une nuits. Le spectacle a divisé la critique et le public : des spectateur·rices, dérouté·es par l’approche très abstraite, ont même quitté la Cour d’honneur en pleine représentation, et la fin du ballet a été accueillie par des applaudissements mêlés de huées. Ce débat sur l’accessibilité des œuvres n’est pas propre à Avignon. Partout en Europe, les festivals de danse et de théâtre naviguent entre la mission de présenter le meilleur de la création contemporaine – souvent expérimentale, dérangeante, innovante – et l’enjeu de garder le contact avec le public le plus large possible. Il importe pour ces festivals de trouver l’équilibre entre exigence artistique et médiation envers le public. Le succès populaire est au rendez-vous, mais il s’accompagne d’une réflexion nécessaire sur la lisibilité des œuvres proposées, afin de ne pas creuser un fossé entre une élite culturelle et le grand public avide de découverte.

Crise des financements en Europe
Derrière l’enthousiasme des spectateur·rices, un autre sujet majeur a parcouru les festivals européens cet été : celui du financement de la culture. De nombreux pays européens connaissent actuellement des coupures budgétaires qui inquiètent. En France, le gouvernement a adopté pour 2025 un budget marqué par l’austérité, et même l’habituelle exception culturelle n’a pas été respectée : le ministère de la Culture a perdu 150 millions d’euros de subventions de l’État dans la dernière loi de finances. S’y ajoutent les économies imposées aux collectivités locales (principales contributrices des festivals et équipements culturels) : au total, les dotations de l’État aux régions et départements ont été réduites de 2,2 milliards d’euros, contraignant certaines à diminuer leurs soutiens à la culture de 8 % jusqu’à… 70 % selon les cas les plus extrêmes. Partout en Europe, on observe une érosion similaire des financements publics de la culture sous l’effet des restrictions budgétaires. En Allemagne, certains Länder réévaluent à la baisse leurs dotations aux théâtres et festivals. En Italie, le budget du ministère de la Culture est historiquement modeste et peine à augmenter.
Partenariats innovants et diversification des ressources
Face à la contraction des financements publics, les festivals européens explorent des modèles innovants pour survivre et maintenir une programmation de qualité. Par exemple, à Stuttgart, le festival biennal COLOURS International Dance Festival – fondé par le québécois Éric Gauthier – a su tisser des liens forts avec le secteur privé local. Depuis sa création, COLOURS bénéficie du soutien du constructeur automobile Mercedes-Benz. Le cas de Stuttgart illustre comment une entreprise privée peut devenir un allié précieux pour la culture, sans pour autant empiéter sur l’indépendance artistique du festival.
Perspectives : un été riche d’enseignements
Le bilan de cet été festivalier met en lumière des dynamiques contrastées. En Europe, on célèbre le retour du public en nombre, notamment des jeunes générations, preuve que la danse et le théâtre contemporains savent encore galvaniser les foules. Les festivals européens ont fait preuve d’une créativité foisonnante – parfois déroutante – qui pose le débat de l’accessibilité, un défi qu’ils devront continuer de relever pour élargir toujours plus leurs publics sans renier leur audace artistique. Dans le même temps, l’Europe fait face à un tournant économique difficile : la nécessité de repenser les modèles de financement. Des solutions innovantes émergent, mais le soutien des pouvoirs publics reste un pilier indispensable dont la fragilisation inquiète légitimement les acteurs du secteur.
Pour le milieu de la danse au Québec, la situation européenne représente un espoir, un avertissement et un repositionnement. Un espoir, puisque cet engouement de plus en plus marqué pour la danse se transpose également dans nos régions. On peut s’imaginer que des taux de fréquentation – notamment par les jeunes – se transposera dans nos Festival des Arts de Saint-Sauveur, Festival FURIES et autres Festival Quartiers Danses, notamment à travers les efforts de démocratisation mis en place par nos artistes et institutions. Un avertissement, puisque la baisse des enveloppes budgétaires – malgré l’appel évident du public pour plus de danse – menace de fragiliser ici aussi la force de notre culture. Heureusement, le Québec – grâce aux tractions de nos artistes dans les derniers mois – a augmenté son financement culturel, mais il reste encore beaucoup à faire pour assurer une réelle stabilité financière dans le milieu de la danse. Et enfin, un repositionnement, puisque la situation en Europe réduit les possibilités d’échanges culturelles – et donc, de tournées internationales. Il faut redoubler d’efforts pour continuer de montrer notre pertinence sur ces scènes, pour conserver nos acquis le temps que la tempête passe, pour trouver des alternatives qui permettront à la danse québécoise – qui survit surtout grâce à son rayonnement outremer – de moins dépendre du marché européen. Nous nous devons de regarder au-dessus du tumulte des festival, vers l’avenir aussi grandiose qu’incertain qui attend notre secteur, nous rassembler et nous soutenir. De là émaneront nos plus vibrants étés.