Montpellier, ou l’art du pas de deux entre politique et culture
- Mickaël Spinnhirny
- 27 juin
- 3 min de lecture
S’il fallait une image pour incarner la relation entre la sphère politique et le monde des arts vivants, ce serait celle d’un duo de danse. Deux corps, deux intentions, deux temporalités parfois dissonantes mais, quand le lien est juste, une trajectoire partagée. Et cette semaine, à Montpellier, ce pas de deux a trouvé un éclat particulier. Le maire Michaël Delafosse a rendu un hommage public vibrant à Jean-Paul Montanari, directeur emblématique du Festival Montpellier Danse, saluant « un homme qui a changé le visage culturel de la ville », et célébrant une aventure collective unique en France. Ce moment de reconnaissance solennelle, rare dans les arènes municipales, symbolise la puissance d’un partenariat à long terme entre une vision artistique forte et une volonté politique affirmée. C’est aussi une leçon adressée à tout le secteur : sans complicité entre élus et créateurs, point de destin culturel audacieux.

Un investissement culturel… chorégraphié
Depuis plus de quarante ans, Montpellier a fait le choix de miser sur la danse contemporaine. Et non pas à la marge, comme une belle vitrine saisonnière, mais comme un socle stratégique de développement urbain, social, touristique. La preuve est dans les chiffres : la Ville de Montpellier consacre chaque année plus de 22 millions d’euros à la culture, un engagement maintenu malgré la pression sur les finances publiques. En 2024, un fonds d’urgence de 250 000 € a même été mis en place pour soutenir les structures artistiques en difficulté, un geste fort à contre-courant de la tendance nationale à l’austérité. Au cœur de cette ambition, le Festival Montpellier Danse joue un rôle de catalyseur. En 2024, il a rassemblé 34 000 spectateurs, avec un taux de remplissage avoisinant les 90 %. Chaque été, les plus grandes figures de la scène chorégraphique mondiale s’y croisent. Ce n’est pas une suite de spectacles, c’est une déclaration. Une ligne artistique audacieuse qui engage, qui questionne, qui propose une manière d’habiter le monde.
De la pierre à l’écosystème
Le succès du festival ne repose pas que sur une saison estivale. Il s’inscrit dans un écosystème pensé sur la durée. La Ville, avec le soutien de la Région et de l’État, a investi dans l’Agora – Cité internationale de la danse, un lieu unique en Europe mêlant studios, résidences d’artistes, espaces publics et lieux de diffusion. Un écrin vivant pour la création, qui permet à des œuvres de naître, de s’essayer, de se rencontrer avant de rayonner ailleurs. Ce modèle, où l’infrastructure sert un projet de société, devrait inspirer toutes les collectivités en quête de sens. Le maire Delafosse ne s’y est pas trompé. Dans son hommage à Montanari, il a évoqué « le rôle de la danse dans la construction du récit de Montpellier ». Ce n’est pas un effet de style. À une époque où les villes rivalisent pour une image de marque, Montpellier a choisi de se raconter par le geste, par le mouvement, par les corps qui dansent. Et cela paie : finaliste pour devenir Capitale européenne de la culture 2028, la ville figure aujourd’hui dans les classements des métropoles culturelles les plus dynamiques du pays.
Quand la danse fait tourner l’économie
On aurait tort de croire que cette ambition n’a qu’un effet symbolique. Le Festival génère des retombées économiques massives. Hôtellerie, restauration, transports, emplois saisonniers : chaque édition mobilise et irrigue l’économie locale. La notoriété du festival attire touristes, curieux, critiques et programmateurs, positionnant Montpellier comme une place forte du tourisme culturel estival. Et ce modèle a une autre vertu : il permet de penser la culture comme un bien commun, avec des propositions gratuites dans l’espace public, des résidences ouvertes aux scolaires, et une médiation pensée pour irriguer tous les quartiers. La danse, ici, n’est pas un luxe réservé : elle est une langue partagée.
Un exemple à suivre ? Oui, mais…
Soyons clairs : ce modèle n’est pas reproductible tel quel partout. Il repose sur une alchimie rare entre personnes, temporalités, et opportunités politiques. Mais il offre des clés : la confiance dans la durée, l’ancrage territorial de la création, et la reconnaissance du rôle politique de l’art dans la fabrique du vivre-ensemble. Dans un moment où tant de collectivités réduisent leur soutien à la culture à des dispositifs standardisés, Montpellier rappelle que l’audace paie. Elle paie en fierté citoyenne, en attractivité, en diplomatie culturelle, mais surtout en imaginaire collectif. Il y a, dans cette complicité entre un maire et un programmateur, quelque chose de l’ordre d’un pacte civique. Celui qui dit : l’art n’est pas un supplément d’âme. Il est le cœur battant d’un projet de société. Finalement, ce que nous dit Montpellier, c’est que la danse ne se contente pas de faire bouger les corps. Elle peut aussi faire avancer une ville.