La fin des écrans : le début d’une nouvelle ère
- Mickaël Spinnhirny

- 15 sept.
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 16 sept.
Et si nos interactions numériques se passaient bientôt de tout écran ? La question peut sembler farfelue tant les écrans dominent notre quotidien depuis le début des années 2000. Téléphones intelligents, tablettes, ordinateurs, télévisions, affichages urbains : jamais l’humanité n’a été autant exposée à la lueur des pixels. Mais à l’aube du second quart de ce siècle, un vent de révolution technologique se lève. Plusieurs géants de la tech imaginent un futur post-écran, porté par l’essor de l’intelligence artificielle et des interfaces invisibles. Après l’overdose d’écrans, assisterons-nous à l’avènement d’une ère sans écran, où les agents intelligents nous accompagneront dans chaque geste du quotidien ? Ce scénario encore futuriste mérite qu’on s’y attarde – en particulier dans le secteur culturel, qui devra s’y adapter en profondeur.

Du règne des écrans à l’ère des agents intelligents
Nous sortons d’une vingtaine d’années où l’écran a été roi : ces appareils ont transformé nos vies depuis l’iPhone de 2007. Maintenant, plus de 90 % des Canadien·nes possèdent un téléphone intelligent. Or, après 18 ans d’améliorations continues, la question se pose : quelle est la prochaine étape ? Les innovations récentes suggèrent que nous pourrions être à la veille d’un changement de paradigme. Les expert·es parlent de screenless computing – littéralement, informatique sans écran. L’idée : imaginez pouvoir parler à votre ordinateur ou téléphone comme à une personne qui vous comprend et vous aide proactivement, sans avoir à fixer constamment un écran.
Préparer l’œil à l’invisible
Si la fin des écrans n’est pas encore proclamée officiellement par les fabricants, on voit donc de premiers signes d’adaptation. Apple donne le ton avec iOS 26 : derrière l’esthétique raffinée de cette mise à jour se cache cette philosophie de rendre l’interface invisible ou du moins secondaire. Son design Liquid Glass (verre liquide) mise sur la transparence et l’effacement de l’interface au profit du contenu. Cette interface translucide reflète et réfracte son environnement, s’adaptant au contexte lumineux pour se fondre dans le décor. On peut y voir les fondations de nouvelles expériences pour le futur , où même les éléments classiques (icônes, widgets, barre de menu) deviennent semi-transparents. Autrement dit, l’écran commence à disparaître visuellement derrière ce qu’il affiche. Ainsi, Apple prépare l’utilisateur·rice à un monde où l’interface physique s’efface.
Vers la disparition de l’interface visible : les agents IA à l’œuvre
Un pas décisif vers le monde sans écran est l’émergence des agents conversationnels intelligents capables d’agir à notre place. Jusqu’à récemment, interagir avec un assistant vocal se limitait à des commandes basiques. Mais la nouvelle génération d’IA génère des agents bien plus puissants. OpenAI a ainsi doté ChatGPT d’un agent autonome pouvant naviguer sur le web, cliquer, remplir des formulaires et effectuer des actions complexes, le tout en répondant à des objectifs formulés en langage naturel. Cette fonctionnalité, lancée en 2025, permet par exemple de commander des courses en ligne, de planifier une soirée ou de générer un rapport sans intervention humaine directe dans le processus. L’utilisateur·rice n’a qu’à énoncer son besoin ; l’agent se charge de parcourir les sites, de trouver l’information et d’accomplir la tâche. Pour l’utilisateur·rice, l’expérience gagne en confort – plus besoin de scruter un écran ni d’apprendre une énième appli, l’agent s’adapte à nous.
Un défi pour les publicitaires… et les diffuseurs
Cette délégation pose de sacrés défis aux fournisseurs de services en ligne… et aux créateur·rices de contenus. Un exemple parlant : lors de ses explorations, l’agent de ChatGPT ignore superbement les bannières publicitaires et autres éléments conçus pour attirer l’œil humain. Les algorithmes n’ont que faire des pop-ups aguicheurs ; ils vont droit à ce qui leur semble pertinent pour accomplir la tâche. Dans un monde où les IA font l’intermédiaire, comment capter l’attention d’un public qui ne voit plus directement les messages ? Plusieurs observateur·rices anticipent un choc pour le secteur publicitaire en ligne, déjà fragilisé : difficile d’imaginer les annonceurs rester si de moins en moins d’humains voient leurs pubs. Ce constat s’étendra à toutes les interfaces de recommandation : demain, votre assistant virtuel choisira peut-être les informations, produits ou spectacles qu’il vous présente, filtrant le reste dans l’ombre. L’assistant intelligent deviendra ainsi le nouvel écran – un écran intangible, conversationnel, qui sélectionne et affiche (par voix ou projection) ce qui compte pour vous. Pour les entreprises et institutions, y compris culturelles, il s’agit de plonger pleinement dans un changement de paradigme déjà envahissant : il faudra plaire aux algorithmes de recommandation autant qu’aux utilisateur·rices.
Quel impact pour la culture et le spectacle vivant ?
Rêver d’un futur sans écrans est une chose, mais qu’en sera-t-il de nos habitudes culturelles ?Ces dernières années, la promotion des événements culturels s’est massivement digitalisée, passant par les réseaux sociaux, les affichages vidéo, les publicités en ligne ciblées… Or, si les publics ne consultent plus d’écrans, comment leur donner envie de sortir voir un spectacle ?
Imaginons un instant un spectateur de 2030 équipé d’un assistant AI plutôt que d’un smartphone. Comment réservera-t-il ses billets ? Peut-être tout simplement en le demandant à voix haute : « Assistant, trouve-moi un concert de jazz vendredi et prends deux places ». L’agent numérique effectuera la recherche, la comparaison, le paiement, et informera son utilisateur du résultat. Cela paraît pratique – trop pratique, peut-être, du point de vue des organisations culturelles. Car dans ce scénario, l’assistant devient le prescripteur principal. Le spectateur ne fera plus défiler Facebook à la recherche d’une idée de sortie : il s’en remettra aux recommandations personnalisées de son IA, basées sur ses goûts et historiques. Il ne parcourra plus non plus les sites web des salles de spectacle, sauf peut-être via un résumé vocal généré par son agent.
Pour les professionnel·les du marketing culturel, se rendre visible dans ce nouvel écosystème sera crucial. Il faudra s’assurer que les IA connaissent l’existence de tel festival ou de telle pièce de théâtre, qu’elles puissent y accéder et les proposer au bon public. En d’autres termes, le référencement de demain ne concernera plus seulement Google, mais aussi les plateformes d’assistants vocaux et d’agents intelligents. Le lien direct avec le public risque aussi de s’éroder si l’on n’y prend pas garde. Si nos futur·es spectateur·rices dépendent d’un filtre intelligent pour savoir quoi voir, qui possédera ce filtre ? De grands acteurs technologiques, sans doute. On peut y voir un parallèle avec les réseaux sociaux : les salles de spectacle ont dû apprendre à « jouer l’algorithme » de Facebook ou Instagram pour exister dans le fil d’actualité de leurs abonné·es. Demain, il faudra peut-être composer avec les algorithmes de recommandation des assistants IA. Une pièce à la mode sur les réseaux d’aujourd’hui devra devenir une pièce en tendance dans les suggestions d’IA demain. Par ailleurs, la réservation de billets elle-même devra être repensée. Les systèmes de billetterie en ligne pourraient devoir exposer des API pour que les agents automatisés y accèdent directement.
Enfin, la relation au public pourrait paradoxalement redevenir plus physique. Si les écrans omniprésents s’éclipsent, l’attention des individus lorsqu’ils se déplacent en ville ou se rendent sur un lieu de sortie sera peut-être plus disponible pour d’autres formes de communication. On peut imaginer un retour en grâce de l’affiche papier ou des installations artistiques dans l’espace public. Après tout, le fait d’être moins collés à nos écrans pourrait rouvrir nos yeux sur l’environnement alentour – offrant de nouvelles opportunités d’y insérer de la découverte culturelle, de façon plus organique.
Se préparer à l’après-écran : une réflexion urgente
Bien sûr, tout ceci reste prospectif. Toutefois, une chose est certaine : la manière dont nous interagissons avec la technologie est sur le point de changer radicalement – à nouveau. La fin des écrans – entendue comme décroissance de leur rôle central pour trouver de l’information – pourrait bien marquer le début d’une nouvelle ère sociétale. Une ère où le numérique sera plus diffus, intégré dans notre environnement plutôt que confiné derrière du verre.
Il est crucial que le débat de société s’empare de cette question dès maintenant. Comment préservera-t-on la diversité culturelle et le libre arbitre de chacun si les choix passent par un filtre algorithmique ? Comment s’assurer que ces technologies restent au service de l’humain et de l’art, et pas l’inverse ?
La fin des écrans n’annoncera pas la fin de la culture, bien au contraire. D’une certaine façon, en libérant nos regards des dispositifs électroniques, elle pourrait même réhumaniser nos expériences – redonnant de la valeur à ce qui est vécu directement. À nous d’imaginer comment tirer le meilleur de cette nouvelle ère qui s’annonce, pour que la société connectée de demain ne soit pas une dystopie désincarnée, mais au contraire un monde où la technologie saura s’effacer lorsque l’essentiel – la rencontre – devra prendre le premier rôle.



