top of page

Le déclin du droit d’auteur, la naissance du salaire de base pour les artistes

  • Photo du rédacteur: Mickaël Spinnhirny
    Mickaël Spinnhirny
  • 1 juin
  • 4 min de lecture

Pourquoi payer pour ChatGPT, mais pas pour les artistes qui le nourrissent ? Et si on inversait les rôles ?


CAPAS Droit d'auteur IA voleur de tableau

Le droit d’auteur, pierre angulaire de la reconnaissance et de la rémunération des artistes depuis le XVIIIe siècle, est aujourd’hui gravement fragilisé. Ce n’est pas sa légitimité qui est contestée, mais son efficacité dans un monde où les œuvres circulent librement, se transforment en continu et sont massivement utilisées par des machines sans en référer à leurs créateur·trices.


L’émergence des intelligences artificielles génératives, qu’elles produisent des textes, des images, de la musique ou de la vidéo, repose sur une ingestion à grande échelle de contenus culturels existants. Les bases de données utilisées pour les entraîner comprennent des millions d’œuvres d’art, de romans, de chansons, souvent recueillies sans permission explicite. Ce qui est en jeu ici, ce n’est pas simplement une question d’attribution, mais un changement profond de paradigme : l’œuvre devient matière première, et son auteur·ice, une variable silencieuse du processus.


L’économie de la création sous pression

Cette transformation technologique s’inscrit dans une dynamique plus large : celle d’un monde numérique saturé de contenus. Sur les réseaux sociaux, les plateformes de diffusion, les sites web et les infolettres, l’offre culturelle est ininterrompue. Les artistes sont appelés à produire constamment pour rester visibles, souvent sans moyens pour défendre leurs droits ou simplement retracer l’origine d’une œuvre inspirée, dérivée ou copiée. Pensons simplement aux contenus populaires où profesionnel·les et amateur·rices reproduisent, souvent sans citer la source, un concept, une chorégraphie, une phrase. La propriété intellectuelle, si peut être réclamée, appartient alors à la personne qui l’a réclamée en premier, qui n’est pas toujours celle qui l’a créée.


Le modèle traditionnel du droit d’auteur supposait une capacité à contrôler la diffusion d’une œuvre ou d’une idée. Ce contrôle est désormais de plus en plus illusoire. Les œuvres circulent, s’altèrent, se fondent dans d’autres, souvent dans des formats qui ne permettent pas d’identifier leur source ou, lorsqu’on peut l’identifier, demande des efforts surhumains au créateur·rice pour obtenir réparation auprès des compagnies l’ayant exploité. Et pendant ce temps, les revenus générés par cette économie dérivée échappent largement à celles et ceux qui créent.


CAPAS Droit d'auteur IA poids dans balance

Repenser la reconnaissance : le revenu de base artistique

Face à cette réalité, il devient urgent de revoir les mécanismes de reconnaissance et de soutien aux artistes. L’idée d’un revenu de base spécifique au milieu artistique revient avec force. Elle ne doit pas être confondue avec une allocation universelle, mais envisagée comme une reconnaissance structurelle du travail de création, travail souvent invisible, irrégulier, non quantifiable en unités de production.


Le principe est simple : plutôt que de rémunérer uniquement les œuvres finies ou les prestations ponctuelles, il s’agit de rémunérer le travail artistique comme un processus continu, qui mérite d’être soutenu indépendamment de sa rentabilité immédiate.


Rétablir l’équilibre : faire contribuer les géants technologiques

Une telle transformation nécessite des ressources. Il serait légitime que les entreprises qui tirent profit de la création artistique, en particulier les multinationales derrière les IA génératives, les moteurs de recherche, les réseaux sociaux et les plateformes de diffusion, participent à cette redistribution. Elles exploitent un capital culturel immense, souvent sans contrepartie. Au même titre que ces plateformes ont été forcées de payer pour le partage du matériel journalistique, ou de les retirer, un mécanisme similaire pourrait s’appliquer pour la matière culturelle.


Une redevance obligatoire sur l’utilisation des contenus culturels, une contribution à un fonds public de soutien aux arts ou un mécanisme inspiré du pollueur-payeur pourraient être envisagés. Cette approche ne serait pas punitive, mais régulatrice : elle rétablirait un équilibre entre extraction de valeur et soutien aux écosystèmes qui la rendent possible.


L’argument n’est pas moral, il est structurel : sans un tissu vivant de créateur·trices, les technologies culturelles perdent leur matière. Les entreprises qui profitent de cette matière ont donc intérêt à ce que cette création perdure.


CAPAS Droit d'auteur IA palette de couleurs

Vers un nouveau contrat culturel

Le déclin du droit d’auteur ne signifie pas la fin de la reconnaissance artistique. Il nous oblige à revoir les fondements de cette reconnaissance. Il nous pousse à imaginer un nouveau contrat entre les artistes, la société et les technologies. Un contrat fondé non plus sur la seule logique de propriété, mais sur celle de contribution, de circulation et de redistribution. L'idée n'est pas pour dédouaner les géants de l’IA de leurs devoirs envers les artistes et la culture, mais de les responsabiliser autrement, en les amenant à contribuer au pot dans lequel ils pigent allègrement.


Ce contrat suppose une prise de parole collective des milieux artistiques, mais aussi une volonté politique de réformer en profondeur le financement de la culture. Il suppose enfin un dialogue avec les acteurs technologiques, non pour demander la permission, mais pour imposer une responsabilité.


Le droit d’auteur s’érode. Alors qu’une mouvance pour un revenu de base pour les artistes se mobilise de plus en plus, cet argument peut venir mettre de l’eau au moulin. C’est le bon moment pour bâtir autre chose qui prend à défaut ceux qui abusent de l’universalité de l’art. Un système où les artistes ne seraient plus dépendant·es de la reconnaissance marchande ou des aléas algorithmiques, mais soutenu·es pour ce qu’ils font : inventer, explorer, déplacer le regard, créer ce sens qui vaut si cher aujourd’hui.



bottom of page