Pour une inclusion sans cases ni quotas
- Mickaël Spinnhirny

- 31 juil.
- 4 min de lecture
À la veille de Fierté Montréal, une question s’impose : comment penser une véritable inclusion des artistes LGBTQ+ dans le milieu culturel, sans tomber dans les pièges de l’assignation, de la vitrine ou du quota ?

Dans le paysage culturel actuel, l’inclusion de la diversité sexuelle est partout – et c’est tant mieux. Elle s’est mariée aux politiques institutionnelles, aux lignes de programmation, aux appels à projets. Je parle d’expérience : étant moi-même issu de la communauté LGBTQ+, j’ai été aux premières loges des effets de ces efforts pour mieux représenter ces réalités sur et derrière la scène. Pourtant, au fil des saisons, j’ai vu apparaître de nouveaux mécanismes, bien souvent animés de bonnes intentions, qui risquent de recréer les logiques qu’on cherche précisément à dépasser. Chez CAPAS, nous pensons qu’il faut réinterroger en profondeur notre manière de penser l’inclusion LGBTQ+, et plus largement, la pluralité des identités sexuelles dans les pratiques artistiques pour l’élargir, la renouveler, la rendre plus humaine, plus libre et réellement partagée.
Une inclusion fondée sur les droits, pas sur les cases
Au label, nous partons d’un principe simple : chaque personne, quel que soit son genre, son orientation, son parcours, a droit à la même dignité. L’inclusion ne devrait jamais dépendre d’une appartenance à une catégorie, d’un quota à remplir ou d’une identité à prouver. Elle doit reposer sur les droits fondamentaux, sur la reconnaissance pleine et entière de chacun·e comme sujet créateur et citoyen. Créer, danser, écrire, transmettre : ce sont là des droits culturels universels. Et ils ne devraient jamais être conditionnés à un contexte politique, à une grille d’analyse ou à une demande d’étiquetage. Trop souvent encore, les artistes LGBTQ+ doivent justifier leur présence par un projet engagé, un récit militant, une thématique attendue. Comme s’il ne suffisait pas d’exister. Comme si l’amour entre deux femmes ne pouvait pas simplement être une histoire d’amour, mais devait devenir un sujet, un enjeu, un drapeau. Je ne suis pas contre les récits militants – bien au contraire. Mais ils ne doivent jamais être une obligation pour accéder à la scène. L’inclusion, la vraie, commence là : quand chacun·e peut créer sans devoir en permanence performer une identité assignée.
Refuser les quotas, accueillir la complexité
Je le dis avec franchise et nuance : la logique des quotas ne convient plus chez CAPAS. Non parce que nous refuserions la diversité – elle est au cœur de notre raison d’être, qu’elle soit sexuelle, culturelle ou corporelle – mais parce que ces chiffres peuvent devenir de nouvelles chaînes. Lorsqu’un·e artiste est invité·e uniquement parce qu’il/elle « coche la case LGBTQ+ manquante », il/elle n’est pas reconnu·e pour son art, mais pour son utilité statistique. Cela nie la richesse de son parcours, de sa voix, de sa singularité. Les quotas induisent aussi une logique d’équilibre artificiel : un spectacle queer par saison, une œuvre trans par là… Comme si ces récits devaient être rationnés. Comme si la diversité était une denrée rare à répartir équitablement, au lieu d’être un foisonnement naturel à accueillir pleinement. Nous voulons, au contraire, penser l’inclusion comme un geste d’ouverture en continu. Sans calendrier. Sans mesure. Sans condition.

Je comprends bien sûr le fond de la mesure : contourner les discriminations, s’assurer que la chargée de projet transphobe ne puisse pas couper tous les projets queer et trans sans pénalité, que le programmateur homophobe n’ait d’autres choix que de confronter ses biais pour obtenir son financement. Cependant, en transformant un enjeu social d’ouverture en chiffres dans une colonne, on limite la réelle implication émotionnelle des personnes fermées d’esprit et, ainsi, on ralentit le changement de mentalité qu’on espère créer. Des formations obligatoires en présentiel sur les réalités queer pour recevoir un versement de subvention pourrait favoriser une mouvance idéologique plus pérenne en répondant aux peurs et insécurités individuelles profondes qui sont le véritable frein à une plus grande représentativité. Plutôt qu’imposer aux queer des sujets pour leurs créations, pourquoi ne pas plutôt imposer aux personnes insécures un cheminement nécessaire vers l’acceptation? La culture de l’accueil ne peut se construire que dans l’affrontement réel des marginalisations, dans la complexité – l’inconfort parfois – et surtout dans la remise en question permanente de nos cadres et de nos réflexes. Elle demande du temps, de l’écoute, du soin.
Une diversité inassignable
À travers CAPAS, je crois à une diversité organique. Les identités ne sont pas figées. Elles se transforment et se superposent. Vouloir les enfermer dans des cases stables, c’est méconnaître ce qui fait la beauté du vivant. C’est aussi un non-sens pour la création artistique, qui a toujours été un terrain de métamorphose, d’indiscipline. Nous voulons défendre des espaces où chacun·e peut parler de soi ou ne pas le faire, aborder un sujet intime ou non, s’afficher dans ses œuvres ou garder sa sexualité pour sa vie privée. Des espaces où la scène devient un lieu d’expérimentation identitaire, peu importe ce qu’on souhaite montrer de son identité. Ce qui nous intéresse au label, ce ne sont pas les étiquettes, mais les voix. Pas les catégories, mais les résonances.
Pour une scène libre, humaine, plurielle
Avec CAPAS, je veux défendre une scène artistique où la diversité n’est pas un habillage, mais une respiration. Où les voix ne sont pas assignées à une case, mais accueillies pour ce qu’elles sont : des voix humaines, vibrantes, plurielles. Nous voulons des espaces d’expression sincères, libres, inventifs. Nous ne prônons pas le repli, ni le consensus. Nous appelons à l’élargissement, le réel élargissement. À la construction collective d’un monde culturel foncièrement plus ouvert, plus souple, plus curieux. Un monde où l’on ne fait pas semblant d’accueillir. Où l’on accueille vraiment, sans retour en arrière. Ce monde, il ne se décrète pas. Il se construit, chaque jour, par des choix concrets, des gestes de programmation, des manières d’accompagner non pas les artistes, mais les professionnel·les qui leur donne une tribune. C’est ce que j’essaie, que nous essayons de faire, humblement, à CAPAS. Et c’est ce que nous continuerons de défendre : une inclusion sans assignation. Une diversité sans cloisonnement. Un art plus libre dans une société plus accueillante. Et une humanité plus vaste.
Mickaël Spinnhirny



